C'était pas le bon soir [Kyo]

La nuit était déjà bien avancée et Yuriko était encore dehors. Après tout, elle avait l’habitude de se retrouver dehors à pareille heure. La jeune fille leva les yeux sur le ciel qui s’assombrissait d’heure en heure. Quelques étoiles faisaient leur apparition. Les mains dans les poches de son blouson en cuir, Yuriko avança nonchalamment dans les rues d’un Tokyo peu fréquenté par les personnes de sa classe sociale. Les pans de sa mini robe bleue marine se mouvaient au rythme de sa marche, ce qui attirait de nombreux regards. Ce n’était peut-être pas la tenue appropriée pour un tel endroit. Mais elle s’en fichait pas mal. Yuriko tourna, et emprunta une ruelle aux pavés défoncés. Le bruit de ses talons aiguilles avertissait les passants de sa présence. Au bout de la ruelle, la jeune aventurière aperçut un groupe de trois hommes. Elle les étudia un moment. D’âges murs, l’air peu rassurant, blouson en cuir, jeans déchirés, clope au bec et pieds sur le mur. Un d’entre eux leva la tête vers elle et son sourire s’agrandit, dévoilant une rangée de dent, l’une d’entre elle en or. Plus de doute, c’était bien eux.

« - T’es bien en retard ma belle. Mais je suppose que c’est normal pour toi. »

Yuriko se contenta de hausser négligemment les épaules et s’avança. Un autre se frotta les mains. De la fumée sortit de sa bouche.

« - On commençait à s’les cailler à t’attendre. J’te signale qu’on a …
- Eh ! Ferme ta bouche si t’as si froid, ok ? »

Gros rires de la part des autres hommes. L’autre se contenta de s’accouder un peu plus contre son mur, marmonnant entre ses dents. Yuriko était arrivée à hauteur des hommes, sans pour autant s’y mêler. Il était clair qu’elle n’était pas venue faire un brin de causette amicale avec eux.

« - Il est où le dernier ? Le petit au crâne rasé.
- C’est pas tes oignons ma belle. »

Yuriko jaugea l’homme à la dent en or. Pas ses affaires ? Elle traitait avec eux. Elle avait le droit de savoir ce qu’il faisait. Au regard peu engageant de la jeune fille, l’homme à la dent en or lui répondit par un haussement d’épaule.

« - Bon, moi j’ai pas toute la vie. Vous êtes au point ? »

Le dernier homme qui n’avait pas parlé se redressa. Il jeta sa cigarette par terre et sortit de l’ombre. Il était plutôt grand, assez imposant niveau musculature. Sa tête disait clairement qu’il ne fallait pas lui tourner le dos. Malgré elle, Yuriko éprouva un frisson. L’homme la fixa de toute sa hauteur, ce à quoi Yuriko lui répondit par un regard appuyé. Impressionnant ou pas, ici c’était elle la patronne. Pas question de montrer un quelconque signe de faiblesse.

« - Au point ? Je crois que tu te fous d’nous là. On n’a jamais foiré.
- Ouais, ben je préfère quand même m’en assurer. Sait-on jamais. »

Les trois hommes se mirent à rire doucement. Yuriko arqua son sourcil fin. Ils avaient trop fumés ou elle avait zappé un élément ? L’homme à la dent en or s’écarta du mur, lui aussi et avança lentement vers la jeune fille. Encore malgré elle, Yuriko eut un mouvement de recul. Léger. Mais assez pour montrer aux hommes ce qu’ils avaient voulu s’assurer.

« - Dis-moi ma belle, c’est bien imprudent de venir seule. C’est pas un endroit pour les filles comme toi. »

Autre gros rires. Yuriko avait commis, c’est vrai, l’imprudence de venir seule. Les trois hommes se mirent tous en marche, lentement, vers leur patronne devenue proie. Ils affichèrent un sourire malsain, alors que la jeune fille reculait toujours. Paralysée, elle avait du mal à se mettre dans l’idée de courir. De plus, les dalles défonçaient ne l’aideraient pas dans sa fuites en talons. Ils avancèrent, elle recula. Un pas, deux pas, trois pas. A la faible lumière d’un réverbère, Yuriko pivota et se mit à courir. Mais trop tard. Elle distança pendant quelques secondes ses assaillants, mais trébucha sur une dalle. Sa cheville se tordit et elle atterrit finalement par terre. Une douleur fulgurante envahit sa cheville endolorie. Au moment de se relever, Yuriko sentit trois mains fermes lui agrippait les bras et la soulever. L’homme à la carrure impressionnante avait sa tête proche de celle de la jeune fille. Son sourire s’agrandit.

« - Pas la peine de courir, trésor. Viens, on va s’amuser. »

Yuriko tirait de toutes ses forces pour se libérer de l’emprise de cet homme. Mais que peut faire un agneau face au loup, sinon succomber ? Par dernier espoir, sans doute inutile vu l’endroit, Yuriko se mit à pousser un cri perçant, appelant à l’aide qui voudrait bien venir à son secours. Mais qui pouvait bien s’intéresser aux cris poussés dans un quartier ou on en entendait par pelle ?

Yuriko commençait à perdre espoir. Quelle idiotie d’être venue toute seule. Finir comme ça ? Dans la misère et l’anonymat ? C’était vraiment absurde, surtout pour une affaire aussi ridicule. Au moment où ses forces l’abandonnaient, la jeune fille entendit un cri résonnait dans la ruelle, suivi de bruit de pas. Ses agresseurs s’arrêtèrent, surpris, tout comme elle. L’inconnu s’interrompit un instant. La jeune fille se prit à espérer qu’il ne rebrousserait pas chemin. Elle voulu l’appeler à l’aide, mais aucun son ne sortait de sa voix. Finalement, l’inconnu bondit sur l’un des hommes et lui assena un grand coup de guitare sur la tête. Les deux autres restèrent en alerte, immobile. L’inconnu utilisa ce laps de temps pour retirer son bonnet et se dégager de son écharpe encombrante. Yuriko écarquilla les yeux. Kyo Matsuda ? Que faisait-il ici ?

Matsuda était dans un piteux état. Cheveux en pétard (c’était le cas de le dire), yeux enfoncés dans leur orbite, sueur, et une mine visiblement malade. Yuriko n’eut pas le temps d’en observer plus que les deux autres hommes se ruaient déjà sur le nouvel arrivant. La jeune fille était laissée en arrière. Elle recula et sentit sa cheville lui brulait. Elle s’assit à même le sol et appuya de ses deux mains la partie douloureuse de son corps. Décidément, mettre des talons dans un endroit pareil. Mieux valait avoir emporté des baskets à la place.

« - Tu ferais mieux de faire tes prières mon gaillard, avant que je te botte le fion! »

Quand Yuriko releva la tête, elle vit Matsuda qui avait l’air d’hésiter Yuriko réfléchissait à un moyen de lui venir en aide Mais quoi ? Elle était inutile à ce moment précis, avec sa cheville en mauvais état.

*Réfléchis, réfléchis, réfléchis.*

Soudain, elle vit avec frayeur le Trésor s’élancer vers la vitrine à côté de lui. Yuriko esquissa un mouvement pour se lever, mais elle retint un cri de douleur. La jeune fille entendit un bruit de verre qui se brise. Quand elle rouvrit les yeux, Matsuda n’était plus là. Pas possible. Il avait vraiment traversé la vitrine ?

Yuriko vit qu’elle était seule dans la ruelle. Alors, elle se releva lentement. Sa cheville lui lançait toujours d’horribles douleurs, mais elle commençait à s’y habituer. Appuyée contre un poteau, elle appuya plus fermement sur sa cheville. Voyons, si elle s’aventurait là où s’était échappé Matsuda, elle risquait de tomber sur les autres. Si elle restait ici, elle s’exposait à d’autres dangers. Décidément, c’était vraiment une mauvaise idée que de s’être aventurée dans cette situation. Elle ne pouvait pas non plus laisser son sauveur tout seul. Même si elle ne servait à rien, ça n’était tout simplement pas pensable.

Yuriko était encore là, à débattre, accoudée à son poteau, lorsqu’elle entendit un bruit discret derrière elle. La jeune fille se retourna vivement et vit le quatrième homme, qui s’était absenté durant l’entretien : le petit au crâne rasé. Sous l’effet de surprise, il prit l’avantage sur elle. D’un mouvement vif, il s’empara d’elle. La jeune fille le griffa, lui donna des coups, mais rien à faire. Elle avait beau se débattre comme un diable, le chauve tenait bien fermement sa proie.

« - Reste tranquille un peu ! où sont les autres ?
- Je leur ai fait peur on dirait. »

Yuriko rit, mais elle n’avait plus tellement la force de faire la fière Yuriko. Ses forces l’abandonnaient dangereusement et son mental aussi. Elle n’arrivait plus à réfléchir correctement. Trouver une solution pour se sortir de ce guêpier devenait ardu. Aussi, le chauve ne la crut pas.

« - Je sais pas ce que t’as trafiqué, mais ton petit jeu est fini.
- Pfff, j’ai pas le cœur à jouer imbécile. C’est vous qui vous amusez à vos magouilles.
- Commence pas, dit-il en serrant exagérément les cordes qui emprisonnaient la jeune fille. Yuriko le fusilla du regard et se débattait mollement. Il la bâillonna sans ménagement.Je leur avais dit que tu serais un poisson naïf. Te promener toute seule, comme ça. »

Yuriko essaya de se dégager de l’emprise de l’homme. Mais c’était peine perdu. Où pouvait bien être Matsuda maintenant ? Etait-il blessé ? Les autres hommes lui avaient-ils réglé son compte ? Cette dernière question l’effraya. Dans un dernier effort, la jeune fille tenta de se dégager, mais l’homme se saisit d’elle et s’apprêta à la menacer quand une ombre sauta sur son agresseur et s’empara de son cou. Yuriko fut rassuré de s’apercevoir qu’il s’agissait de Matsuda, mais bien vite, son visage fit place à de l’effroi. Le Trésor saignait abondamment. La situation se renversa quand le chauve s’empara de Matsuda et le fit basculer en arrière, faisant tomber le jeune homme. Le chauve sortit un couteau de sa poche et s’approcha dangereusement de Matsuda. Ce dernier, encore un peu sonné, ne s’était peut-être pas encore aperçu de la situation qui empirait de seconde en seconde. Yuriko voulu hurler pour avertir le Trésor mais elle ne produisit que des bruits sourds. Elle s’active alors à se détacher afin de venir en aide à Matsuda.

« - Mon pauvre garçon...tu voulais sauver la belle demoiselle mais tu t'es fait avoir en beauté...Crois-moi, je te laisserais pas t'en sortir aussi facilement!... »

Enfin libérée, sans se préoccuper du bâillon de sa bouche, Yuriko du premier projectile qui lui tombait sur la main et le lança sur le dos de l’agresseur. Celui-ci pivota férocement vers la jeune fille mais Matsuda réagit plus rapidement. Un coup bien placé et hop, le chauve à terre. Matsuda se releva difficilement. Il réussit néanmoins à articuler quelques remerciements. Pourquoi ? Elle n’avait rien fait. Le jeune homme s’approcha d’elle et lui retira son bâillon. Il aida la jeune fille à se relever et se mettre convenablement debout. Sa cheville lui faisait toujours aussi mal, mais pas question de s’appuyer sur le Trésor. Il l’avait déjà tant aidé. Tous deux clopinèrent difficilement vers les rues sacro saintes des quartiers aisés. Rassurée, Yuriko se détendit enfin, quittant un enfer qu’elle croyait éternel. La jeune fille s’appuya contre un mur. Elle se retourna soudain vers le jeune homme quand elle le vit s’écrouler au sol.

«- Matsudaaa ! »

Yuriko s’accroupit à ses côtés et l’étudia. Il avait l’air en piteux état. Son sommeil était agité, sa respiration bruyante. Lorsqu’elle posa une main sur son front, elle constata qu’il était brulant de fièvre. La Missy se mordit la lèvre inférieure. Pourquoi était-il sorti avec une fièvre de cheval ? Et pour aller dans cet endroit malfamé en plus. La jeune fille déplaça le corps du Trésor, pour le mettre dans une position plus confortable. Elle s’empara de son téléphone et composa le numéro de son domestique personnel, lui ordonnant de la rejoindre le plus rapidement possible. Il n’était certainement pas question de laisser Matsuda mourir de cette fièvre. Une seule question taraudait son esprit : qu’était devenue Kyo Matsuda, le Rokou Takara débordant d’une aura supérieure ? Comment avait-il fait place à ce Matsuda enfiévré, amaigri ?